Le Pétadou

Le pétadou

Proche parent de la pignata, topina, du brametoupi et du brameboeuf⁴, c’est un tambour à friction. Il est constitué, comme le rommelpot, les caccavella, putipù, zambomba, sarronca, pignato, cute-cute, cupellone, bufù, cupa-cupa d’un cougourdon ou d’un pot (en bois, terre ou métal), tendu d’une peau animale, ou d’un tissu mouillé. Au centre de cette peau est fixée une tige d’osier ou de roseau, que l’on frotte avec la main, maintenue mouillée par un chiffon imbibé d’eau. Dans certains cas, la vibration provient d’une ficelle frottée dans un trou au centre de la peau (topina ou buhai roumain), ou d’une tige de bois que l’on frotte dans un mouvement de va-et vient contre le rebord d’un trou percé dans la peau.

Le son émis par pétadou, pignata et brametoupi, peut varier de hauteur et de puissance, et peut faire penser à un mugissement, à un pet, un brâme, ou un râle. Daniel Loddo écrit, à propos de la topina, « Cet instrument, choisi pour exécuter le charivari (…) avait pour fonction de symboliser les gémissements du mort (…) Les plaintes que l’on tirait de cet instrument pouvaient effrayer jusqu’aux plus téméraires » ⁵ On voit un rommelpot peint en 1559 par Bruegel l’Ancien dans Le Combat de Carnaval et de Carême.

Claude Gaignebet dit qu’il est « fréquemment représenté, surtout dans des scènes en rapport avec Carnaval. Néanmoins, son usage n’est pas strictement réservé au temps carnavalesque: c’est aussi l’instrument du crieur des morts, à Paris, au XVIIe siècle». Daniel Fabre précise à propos du bramabiau ou bramavaca « cet instrument est propre à la jeunesse qui l’utilise au cours des charivaris, de la procession des Paurs, (les Peurs ndlr) (…) il est aussi utilisé, d’après une tradition orale des Corbières Occidentales, par le magicien qui cherche à terroriser ses victimes»⁷.

Daniel Loddo encore, nous parle d’un instrument très proche, le « roucounaïre » ce qui signifie « loup garou », joué dans les campagnes autour de Salvagnac dans le Tarn. Cet instrument était constitué d’une cougourde, coupée et tendue d’une peau percée, d’où sortait une mèche de crin de cheval, que l’on frottait (un peu comme le buhay ukrainien). Les jeunes profitaient des longues soirées d’hiver pour aller effaroucher les habitants des fermes isolées.

Cet instrument effroyable, qui prête sa voix aux défunts, qui sert à communiquer avec l’au-delà, ou tout au moins à le figurer, est au centre de la Vespa, comme l’âme de l’orchestre.

Mais il est aussi un instrument grotesque: le son qu’il émet, comme lâché par un Gargantua flatulent, fait sourire tout auditeur. Annie Sidro, historienne spécialiste du carnaval, traduit pétadou par « pet de Dieu » Est-ce une version grotesque et inversée du Verbe originel? Pas pour Van Helmont qui affirme que c’est le pet qui anime l’univers, ni pour Claude Gaignebet qui y voit le pneuma igné, souffle divin qui réanime le Nouveau Monde après l’Apocalypse.

C’est enfin un instrument jugé licencieux : la tige du pétadou que l’on astique d’un geste onaniste, et ses giclures d’eau sont obscènes. Tout autant que la pignata, dont la peau est percée d’un trou dans lequel l’on frotte un bout de bois dans un mouvement de va-et-vient, qui est sans équivoque.

Ces instruments se situent donc à la lisière de l’humanité, aux extrémités de la vie. L’avant-vie car ils symbolise l’acte originel de procréation, et l’après-vie par son évocation du dernier râle du mourant, de la voi du défunt, et de bêtes surnaturelles. C’est, semble-t-il, un instrument psychopompe.

Cette haute valeur symbolique du pétadou, instrument profane s’il en est, nous renvoie aux mystères de la vie, les zones où les lumières de la science ne pénètrent pas : s’agirait-il des Ténèbres, dans le sens d’Inconnu?

Quelques instruments fabriqués par mes soins sont aujourd’hui encore joués par des artistes comme la Mal Coiffée, Maxence Camelin, Djé Balèti…

Jérôme Desigaud, 2018

photo: La Mal Coiffée

Notes et sources:

5 : Daniel Loddo, Saint-Amans les deux villages, Lo païs esclairat. Editions La talvera/Edicopie, p331

6 : Daniel Fabre et Charles Camberoque, La Fête en Languedoc, ed. Privat, 1977, p231

7 : Claude Gaignebet, Le combat de Carnaval et de Carême, in Carnaval et mascarades, ed. Bordas p.18

8 : J.M. Cabasse, « currant nudi, la répression de l’adultère dans le Midi médiéval (XII-XVe siècle) » dans Droit, histoire et sexualité. Textes réunis et présentés par J.Poumarède et J-P .Royer, Lille, 1987, p.89.

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